Edmond About et la momie du logis, par Antoine Perraud (Médium 35)
Edmond About (1828-1885), normalien de la promotion de 1848 – qui comptait Francisque Sarcey et Hippolyte Taine –, interrogea la modernité avec une naïveté calculée ; celle qu’allait revendiquer la médiologie en regardant avec application le doigt du prétendu sage censé montrer la lune. Edmond About pensait de surcroît son temps hors des pesantes démonstrations : il usait de la farce conscientisée. Le plus sérieux qu’il put fut de pousser jusqu’au pamphlet…
Lucien Herr, par Anne-Cécile Grandmougin (Médium 31)
Le grand bibliothécaire de l’École normale a converti Jaurès et Blum au socialisme. Le chef de file des dreyfusards, qui établit dès 1897 la « Liste des intellectuels à contacter » pour signer la pétition en faveur de la révision du procès, se dressa contre Barrès pour reprendre à son compte le beau nom d’intellectuel dans « La Revue blanche ». C’est sur un petit nombre de traits signifiants que se fonde l’historiographie de Herr, façonnant ainsi pour notre XXe siècle une personnalité charnière, presque romanesque. Herr lui-même n’a presque rien écrit ; faute de temps, il abandonne en route son Hegel puis son Platon, qui devaient être les grandes œuvres de sa vie. Le bibliothécaire n’écrit pas, il classe les livres des autres. Les traces qu’il nous laisse sont fragmentaires. Ni journal ni Mémoires ne nous permettent d’éclairer de l’intérieur ce parcours singulier.
Maxime Du Camp (1822-1894), par Jacques Lecarme (Médium 30)
C’est entendu : de tous les écrivains ratés du XIXe siècle, Maxime Du Camp serait le plus misérable. Son nom ne survivrait dans la mémoire des lettres que par des fautes mémorables. Ami de Flaubert depuis la vingtième année, il n’aurait été qu’un faux témoin, envieux et dénigreur. Après avoir exigé des coupures dans le texte de Madame Bovary, après avoir déconseillé la publication de La Tentation de saint Antoine… il aurait attendu la mort de Flaubert pour révéler – ou pour imaginer – une épilepsie qui serait le principe d’un relatif échec de Flaubert, au regard de l’absolu de son ambition littéraire. Dans son grand âge, il dressa un réquisitoire contre l’insurrection de la Commune (1871), Les Convulsions de Paris. Albert Thibaudet n’hésita pas, vers 1920, à traiter le pauvre Maxime de « dernier des derniers », en citant des vers emphatiques de ses Chants modernes. Mais sont-ils si ridicules ? Ils expriment la pensée saint-simonienne d’un interlocuteur du père Enfantin, passionné par l’ouverture du canal de Suez, par les transformations de l’Égypte, depuis les pharaons jusqu’à Méhémet-Ali, et par la maîtrise du monde par la technologie. Un jour, Maxime Du Camp perdit une foi qu’il avait partagée avec Gustave Flaubert : la littérature était un absolu auquel il fallait tout sacrifier, et le monde, un accident tout juste bon à être décrit, c’est-à-dire une illusion. Un jeune mystique du romantisme devint alors un arpenteur de la planète et un démonteur de mécanismes, plus particulièrement attaché aux ressorts et aux rouages de la transmission.
Friedrich List (1789-1846), par Gabriel Galice (Médium 29)
Réputé comme auteur du Système national d’économie politique, Friedrich List (1789-1846) est aussi le pionnier des chemins de fer allemands. C’est par le train et l’union douanière (Zollverein) qu’il promeut l’unité politique de l’Allemagne. Personnage aux carrières multiples, qui partage son existence mouvementée entre le Wurtemberg, les États-Unis et la Saxe, commémoré par les postes allemandes, ce stratège des chemins de fer et chroniqueur talentueux mérite l’attention du médiologue.
Jean Anthelme Brillat-Savarin, par Michel Erman (Médium 28)
Il est des écrivains plus consommés que leur œuvre. C’est le cas de Brillat-Savarin, dont la Physiologie du goût, publiée anonymement en 1825, peu avant sa mort, est souvent évoquée, parfois citée de façon fragmentaire, mais, en dépit de la reconnaissance et du succès obtenus au XIXe siècle, qui faisaient dire à un Balzac qu’on tenait avec ces « méditations de gastronomie transcendantales » une prose digne de La Rochefoucauld, rarement lue aujourd’hui.
Claudel, médiologue de la ville ? Par Robert Damien (Médium 27)
Réfléchir philosophiquement sur la ville implique de constituer la ville comme concept médiologique. Dans le cadre de ce travail, Paul Claudel peut apporter beaucoup tant il surprend et innove. Certes, d’autres poètes du XIXe et du XXe siècle pourraient être privilégiés car ils ont célébré la modernité urbaine, industrielle et technique, du Rimbaud des Illuminations jusqu’à Zone d’Apollinaire en passant par Baudelaire ou Aragon et bien d’autres. Tous, selon des registres différents et à des titres divers, développent une exaltation lyrique et invocatoire de la nouvelle puissance humaine qu’incarne la ville comme nouvel ordre social libéré des tutelles naturalistes et religieuses. Elle est le siège d’une métamorphose politique qui transforme la ville en cité et l’homme urbain en citoyen. Le poète ne peut que saluer cette euphorie.
Hippocrate, par Monique Sicard (Médium 26)
Hippocrate le Grand, né vers 460 av. J.-C dans l’île de Cos et mort vers 370 av. J.-C à Larissa, est un médecin grec du siècle de Périclès, considéré comme le « père de la médecine ». Il a révolutionné intellectuellement la médecine en Grèce antique, en instituant cet art comme une discipline distincte des autres disciplines de la connaissance auxquelles elle avait traditionnellement été rattachée. Il a fait ainsi de la médecine une profession à part entière.
Darwin, par Paul Soriano (Médium 23)
« L’analyse des techniques montre que dans le temps elles se comportent à la manière des espèces vivantes, jouissant d’une force d’évolution qui semble leur être propre et tendre à les faire échapper à l’emprise de l’homme. » (Leroi-Gourhan, Le Geste et la parole). 2009, double anniversaire, bicentenaire de la naissance (Charles Darwin est né le 12 février 1809 dans une famille féconde en brillants esprits ) et cent cinquantième de la publication de L’Origine des espèces (1859). Passé les célébrations, nous pourrons nous en tenir à l’essentiel – autant dire qu’il sera surtout question ici du darwinisme plutôt que de Darwin, sa vie, son œuvre .
Le paradoxe Balzac, par Pierre Chédeville (Médium 22)
S’attarder sur les stéréotypes du libraire, du patron de presse, de l’homme d’affaires, tous véreux jusqu’à la caricature, pour dessiner en creux une critique radicale de notre société, est une peine que l’on épargnera au lecteur. La cupidité mène le monde ? Dura lex, sed lex, et nous risquerions, à nous attarder, de noircir cette page de poncifs. Endossons donc plutôt l’habit du médiologue, en laissant au placard celui du sociologue. On trouve en effet dans les Illusions perdues un théorème médiologique éclairant sur le phénomène de la diffusion des idées et des savoirs, que l’on pourrait résumer en paraphrasant le célèbre aphorisme de Nietzsche : en matière de transmission, les forts sont toujours vaincus par les faibles.
Saint Paul, avec Régis Burnet (Médium 20-21)
Robida médiologue, par Michel Thiébaut (Médium 19)
Au nombre de ceux qui, très tôt, ont perçu le passage de la graphosphère à la vidéosphère, Albert Robida fait figure de pionnier. Deux de ses principaux ouvrages en témoignent, Le Vingtième Siècle, en 1883 et La Vie Électrique, en 1892. Les dates de ces deux titres laissent perplexe lorsqu’il s’agit d’évoquer la vidéosphère – même s’il s’agit d’anticipations romanesques. Et pourtant, c’est bien dans ces deux livres que nous trouvons une description d’un monde dominé par les écrans, bien en avance sur celui de Robida. Si le premier des deux ouvrages a connu un réel succès, au point d’être plusieurs fois réédité, c’est davantage en raison du caractère apparemment cocasse des inventions qu’il évoquait que pour la profondeur de vue dont il témoigne.
Roland Barthes, avec Daniel Bougnoux, Françoise Gaillard et Louise Merzeau (Médium 18)
Plus vivace que le signe symbolique, la notion d’empreinte fait référence aux marques laissées par un corps. Or le corps – ou plus précisément l’incarnation d’une pensée dans un jeu de traces elles-mêmes soutenues par un dispositif technique – occupe depuis le début notre médiologie… Nous marchions nous-mêmes sur les traces de Barthes, dont l’œuvre brille aujourd’hui d’un éclat singulier. La critique ou le retournement de la sémiologie opérés par Barthes dessinaient-ils l’émergence d’une médiologie ? (Daniel Bougnoux).
Si Roland Barthes était vivant, il égrènerait ses biographèmes sur le réseau. Son blog, le-plaisir-du-web.com, serait l’un des plus fréquentés de la Toile. Courts billets ciselés d’intelligence, langue inventive et néanmoins toujours accessible, érudition de l’ordinaire, liberté d’énonciation… Barthes serait à n’en pas douter le prince de la blogosphère. (Louise Merzeau).