« Médium : (-dyom’). n. m. (XVIe s., « moyen », « milieu » ; mot empr. au lat.)
1° Mus. (1792). Étendue de la voix, registre des sons entre le grave et l’aigu.
2° T. de Spiritisme. (1857 en franç.). Personne douée du pouvoir de communiquer avec les esprits.
3° Log. Moyen terme.
4° Néol. T. de Peinture. Tout liquide servant à détremper les couleurs (huile, essence, etc.). »
I. Définition
La médiologie, qui n’en récuse aucune, complète les quatre acceptions du Littré par une cinquième, de nature technique et dynamique : « l’agent d’une transmission ». Ce qui sert à faire passer un corps, un message, une information, une théorie, etc. d’un lieu dans un autre ou d’un moment x à un moment y.
Ce passage n’est pas une translation mais une médiation, au sens fort du mot, « action de servir d’intermédiaire entre un terme duquel on part et un terme duquel on aboutit, cette action étant productrice du second » (dictionnaire Lalande).
Médium devient alors l’entre-deux qui informe et transforme ce qu’il transmet, en sorte que le point d’arrivée ne ressemble plus au point de départ. L’ange sert de médium entre le ciel et la terre, comme l’Église entre le Christ et les fidèles, l’École entre le savoir et les élèves, comme le médium pictural entre les pigments et le tableau final. Et le tissu, objet physique et moral à la fois, entre un dedans et un dehors. Comme la langue, médium de la pensée, lieu de transmission par excellence, fait lien à la fois entre le passé et le présent et entre les membres d’une communauté de locuteurs, transformée par leur commun médium en une communauté d’esprit.
II. La fonction véhiculaire
On le voit à travers ces exemples délibérément hétérogènes. Médium désigne une fonction, et non pas une chose, ni une catégorie prédéterminée d’objets (par exemple : les moyens d’information ou média). Le transport n’opère pas au moyen d’un relais mais d’un moteur. L’intermédiaire est un intervenant. Le moyen, une matrice.
On dira alors que A sert de médium à B lorsque B advient par A, et développe ses effets par son entremise. Le musée est par exemple le médium attitré de « l’œuvre d’art ». La mise en fonction « médium » d’un objet x, qui ne l’est pas par lui-même ni sous tous les rapports, procède d’une démarche d’analyse. Un café, un colloque, une académie peuvent faire office de « médium » dès lors qu’ils servent de véhicule à la constitution d’une force collective (un courant d’idées) et de vecteur interne à la définition d’un esprit (ce qui n’empêche pas le café de rester un lieu où l’on se désaltère, le colloque, un lieu où l’on s’ennuie et l’académie, un lieu où on se fait des politesses).
III. La double nature du médium
Les dispositifs qui permettent à une idée de s’imposer, à une doctrine de se propager, à une mode de se répandre, à une contagion d’opérer ont deux versants : un aspect machinerie (ou bricole) et un aspect stratégie (ou combine).
Une transmission réussie exige des outils et des organes. Une panoplie et une force armée. Soit un volet « matière organisée » (M. O.) et un volet « organisation matérialisée » (O. M.).
L’écriture alphabétique, par exemple, est une technique dont la perpétuation a supposé d’une part du papier, des traceurs, des livres (supports inertes) et d’autre part, de l’école, des maisons d’édition, un corps enseignant (supports animés). Ici comme ailleurs, les données physiques de l’information apparaissent d’emblée pries, saisies dans et par des corps de transmission (Clergé, Ministères, Bibliothèques, Écoles, Instituts, etc.).
Nous verrons dans Médium n° 2 que c’est la présence ou non, en sus d’un appareillage (M.O.), d’une organisation (O.M.) qui distingue un fait de transmission (transport d’information dans le temps) d’un simple acte de communication (transport d’information dans l’espace). La transmission = communication + communauté.
Qu’il s’appelle cinémathèque ou pinacothèque, parti communiste ou église romaine, loge, atelier, club ou confrérie, chaîne ou journal, l’organe collectif revêt la forme d’une institution – qui n’est jamais réductible à un individu.
Derrière le médium, il y a donc un travail d’organisation de la matière (M. O.) : dépôt de signaux sur certains supports matériels (papyrus, papier, silicium, etc.), selon des procédures spécifiques. Ce travail produit un stock de traces.
De l’autre, il y a un travail d’organisation des humains (O. M.) : constitution d’un dispositif antibruit,— institution, administration ou corporation, – comme un acteur transpersonnel. Ce travail produit une lignée.
Médio (dans médiologie) recouvre ainsi l’ensemble des opérateurs physiques et sociaux permettant à un être fini de surmonter sa finitude dans l’espace et le temps.
IV. Grandeur et misère
Medium is message : starter génial, quoique simplificateur et confusionniste. Sous le mot de médium, McLuhan ne distingue pas entre le code, la canal et le support, ni sous celui de message, entre l’énoncé scientifique impersonnel et le message idéologique personnel. Il réduit surtout le deuxième volet au premier, oubliant le moment capital de l’institution. Mais le raccourci en jingle, loin du jargon universitaire, fut un vecteur efficace, au prix d’une déperdition de sens. Tout transport a un prix.
Tragédie des transmissions. Langue d’Esope oblige, la pire et la meilleure des choses, la duplicité du médium en général recoupe celle du pharmakos grec, à la fois remède et poison.
Le médium qui permet la perpétuation du message à travers le temps en garantit la perversion ou l’inversion. Ce qui agilise, solidifie. Ce qui promeut, ampute.
Ainsi l’ange, le médium volant de Dieu, dans les monothéismes. Le co-ouvrier des réalités divines est androgyne (pas de sexe, ayant les deux). Et l’ange peut devenir à tout moment démon. Dans tout prince des Lumières sommeille un héraut des ténèbres.
Les deux branches du médium
VERSANT TECHNIQUE
1• le support physique (statique — page ou surface magnétique — ou bien dynamique — ondes sonores ou hertziennes.).
2• le mode d’expression (texte, image, sons articulés, etc.).
3• le dispositif de circulation (en chaîne, en étoile, en réseau, etc.).
Volet M. O. (matière organisée)
Moyens externes de transport.
VERSANT INSTITUTIONNEL
1• la langue de communication (araméen, latin, anglais, etc.)
2• le cadre d’organisation (éditeur, école, église, etc.)
3• la matrice mentale (structure interne du message)
Volet O. M. (organisation matérialisée)
Moyens internes d’élaboration.