Elle s’implique comme artiste, dans ce qu’elle explique théoriquement, par concepts. Écrivain et photographe, graphiste et imagière, elle a l’hybridité heureuse et radicale. L’hypersphère, elle nage dedans, elle vit avec, elle en fait un exercice visuel et quotidien. Ses montages ne sont pas les illustrations a posteriori d’une thèse d’université ou la transposition sur écran d’une idée du monde : ce sont les symptômes d’un travail en cours, celui du monde d’aujourd’hui, tel qu’il se fabrique, se visionne et se vit en chacun de nous sur et par l’écran.
À savoir une nouvelle organisation de l’espace et du temps. Beau et dangereux décloisonnement où, pour s’en tenir aux dernières nouvelles, un alim de Hadramout au Yemen peut, en trois minutes et deux clics, semer la consternation à Paris, France ; où l’on peut aimer à la fois Bob Marley et Jésus-Christ, ou bien mettre son muezin sur i-pod, pour enfanter cette chimère : la mondialisation tribale, ou la post-modernité archaïque. Nos standards de sensibilité les plus courants, en Occident, échappent à la chronologie, comme ceux de la religiosité en Orient, aux États-nations. Et, il n’y a pas là brouillage des pistes ou panachage indu des registres, mais une tranquille et sereine dislocation des références, sans schizophrénie particulière. C’est bel et bien un nouvel équilibre des choses qui s’instaure sous nos yeux, politique, mental, artistique et spirituel. Le virtuel rend tout actuel, en un clin d’œil, à commencer par l’aboli ou l’effacé. Mauvaise nouvelle pour la mélancolie. Bonne nouvelle pour la gaieté de ces instants quasi miraculeux où le ban et l’arrière-ban, le possible et le réel, le révolu et le révolutionnaire, font de concert la farandole.
Les codex numériques ici représentés tournent le dos au palimpseste d’antan, où une ancienne mémoire disparaissait sous une nouvelle. L’interconnexion généralisée juxtapose les deux à la source ou plutôt réveille ce qui dormait par-dessous : la valse sous le rap. Le cahier d’écolier accueille le hip-hop, le skateboard glisse sur les pages quadrillées de l’écolier à blouse grise et les onciales à l’encre bleue chevauchent les méridiens du réseau Internet. Tout est allumé. Le temps scintille et le songe est savoir. La sensation fait sens et l’image saute hors du cadre. La voilà qui pense par écrit.
Regardez bien ces blasons : voici les armoiries du futur. Les hiéroglyphes de l’ère virtuelle. Il manquait une héraldique aux high-tech. Merzeau est entrain de l’inventer. Elle fouille l’avenir sur son site personnel. Et c’est une nouvelle aube, une comptine retrouvée, un vol plané à travers les âges.
Régis Debray