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Les temps qui viennent : un regard médiologique

Tribune

par La Rédaction

Publié le : 11 mai 2021. Modifié le : 21 juin 2024

La « tribune des généraux », c’est d’abord l’idée d’un triple « délitement » : haine entre les communautés entretenue par idéologies décoloniales, woke ou assimilées, séparation des territoires perdus de la République et violence politique de type black blocs. Bref, identitarisme, islamisme et extrémisme dont les signataires réclament qu’on les combatte « dans le cadre des lois ». Ce sont à peu près les opinions que l’on entend sur les plateaux de t.v. (et pas que CNews) et, avec moins d’euphémismes, chez la majorité des Français. Le tout dans une ambiance d’état d’urgence où nous faisons officiellement la guerre au terrorisme, au virus, au crime…

La seconde tribune, des militaires anonymes et a priori jeunes, approuve le « cri d’alarme » des anciens, mais ne dit rien de très différent : laxisme et péril en la demeure. Mais surtout : solidarité avec nos camarades.

Le gouvernement a vu dans la première une tentative de putsch (à la retraite, sans parachutistes à lâcher sur l’Élysée et en avertissant l’adversaire par voie de presse, on doit pouvoir faire pire).

D’autres interprèteront peut-être la seconde pétition comme un appel implicite à fermer les départements de sciences humaines, à baptiser les mahométans de force ou à embastiller les antifas, mais il faudrait vérifier.

Surtout, la question n’est pas là. Plus que par sa rhétorique pessimiste, le message trouve un écho exceptionnel, à cause des messagers, bien sûr. Mais aussi des médias (réseaux sociaux, plus Valeurs Actuelles) qu’ils emploient. S’ajoutent les médiations qu’ils mobilisent (une pétition indignée comme des intellectuels de gauche il y a vingt ans, une communauté qui dénonce la crise du système). Les officiers, les muets et disciplinés par excellence, se trouvent de fait engagés dans un processus protestation-répression-solidarité qui n’est pas coutumier à droite et dans un jeu de contre-pouvoir.

Il soulève un problème de légitimité et souligne le paradoxe de l’autorité. Par définition, celle-ci ne vaut que tant qu’elle fonctionne, telle la santé, dans le silence des organes : dès qu’il faut convaincre ou contraindre, argumenter, menacer, la voilà déjà entamée. Or proclamer que l’autorité est en crise grave, surtout quand elle vous défend explicitement de dire que crise il y a , l’appeler à se ressaisir, en appeler du fait au principe, c’est objectivement la pire façon de la contester : une prophétie quasi auto-réalisatrice. Car le pouvoir doit réagir. Il le fait, un peu en niant ce qui est dit, beaucoup en s’effarant que l’on dise.

Ici, le gouvernement a adopté un discours alarmiste (les rebelles violent l’obligation de réserve, bruits de botte…). Il s’attire le reproche de vouloir sanctionner les lanceurs d’alerte. Et ce moment où, par exemple, la police se plaint de ne plus être respectée, d’être stigmatisée et attaquée, et ne déplore pas moins la carence symbolique de l’État. Évoquant, elle aussi, le spectre de la guerre civile. Le tout dans une France qui - voir les sondages - se pose la question de l’autorité avec angoisse, réclame sécurité et hiérarchie, met l’armée au sommet des institution qui gardent sa confiance et approuve majoritairement les propos des généraux.

À l’épisode suivant - quand les militaires anonymes applaudissent leur aînés et prennent leur risque - cela produit un second effet cascade : les réseaux qui amplifient par la base l’impact du premier défi.

« Grossière manipulation politique » dit alors la ministre. Elle reproche, cette fois, aux pétitionnaires d’être anonymes. Mais le jour où ils seront identifiés, et où il faudra punir ou perdre la face, cela peut se transformer en boomerang.

On dirait presque que les militaires ont utilisé une stratégie « chinoise » à la Sun Tzu : exploiter les prédispositions de l’adversaire et le pousser à la faute qui amplifie leur propre action. En disant cela, nous leur prêtons peut-être beaucoup de malice. Dans tous les cas, leurs adversaires - gauche qui crie au retour de la bête immonde, macronistes qui s’indignent de l’indiscipline de gens qui réclament précisément de la discipline - ont réussi, eux, à transformer une opinion ou un symptôme en fracture politique majeure.



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