Le médiologue peut s’interroger sur la nature de l’objet lui-même, sur son rapport technique et matériel au monde et sur l’importance qu’il a prise dans la conception de l’art. Pour l’historien ou le sociologue, il est important de savoir qui sont les artistes et leurs clients, de décider si telle œuvre a défendu la noblesse, le clergé ou le tiers état, si son style vient d’Italie ou d’ailleurs.
Pour le médiologue, il n’est pas indifférent de savoir si ce qui agit est un panneau de bois ou un morceau de papier. Il s’interrogera alors sur cette étonnante prédominance que s’est acquise le tableau de chevalet dans l’art occidental moderne, et sur les raisons de ses déclinaisons en divers objets de papier, jusqu’à sa désuétude depuis quelques décennies. L’achèvement de l’art occidental est-il ce panneau quadrilatère plat, solide, indépendant de son environnement, qui matérialise en quelque sorte l’autonomie que doit respecter l’œuvre d’art pour en être une ? Sur cette surface plate, l’artiste inscrit ce qu’il veut. Il n’est lié à aucun objet utilitaire ou décoratif, à aucune architecture, à aucun rite. Le tableau peut être acquis, décroché, donné, vendu, abandonné ou hypostasié dans un musée. Il n’a ni la valeur d’échange universelle de la monnaie, ni la valeur d’usage d’un objet utilitaire. Il n’est pas une monnaie, ne représente pas la monnaie. Il en épouse pourtant la forme et entretient avec elle des rapports consanguins.